-
« Ma ville est un monde » est une image culturelle sur l’idée que la ville est tour à tour, centre et périphérie. Les images ne sont pas simplement dans des cadres, elles rencontrent la réalité. La qualité de leur diffusion, leur contextualisation sont très importantes pour qu’elles réalisent leur travail de dialogue, pour qu’elles questionnent la ville, la vie.
1/20 -
La plupart des entrées de ville sont ornées par des arguments publicitaires. L’espace public est mis en formule, au détriment de toute histoire humaine, en gommant l’origine de ces mondes. Ces banalités aplatissent les différences réelles des villes pour les confondre en produits identiques et sans saveurs. La ville se présente comme une marchandise.
2/20 -
Payer, sens interdit, interdit de stationner, interdit de jouer… L’arbitraire des signes urbains nous habitue à l’obéissance passive à des signes abstraits. Les signalétiques nous renvoient à un monde désincarné et sans solidarité où la pensée critique n’a pas de place. Les sollicitations du « bonheur conforme » à acheter, les « styles de vie » proposés par les publicistes se multiplient.
3/20 -
Les espaces réservés aux cités populaires sont réglementés par de multiples interdictions, mises à la place des informations nécessaires au « bonheur commun ». Ils sont réduits à des logiques de fonctionnalité. Ces humiliations poussent à la transgression, au vandalisme. Les violences urbaines sont provoquées par ces multiples situations d’exclusion.
4/20 -
D’un côté « une ville centre », un panneau publicitaire qui tourne, il est « design », bien entretenu, il présente le spectacle du divertissement privé et payant. De l’autre côté, « une ville de banlieue ». C’est toujours un panneau mais pour l’affichage libre (qui n’a rien à vendre) il est de qualité moindre et pas entretenu du tout. On note trop souvent, une incapacité des municipalités à gérer leur affichage associatif et citoyen. Les citadins ont donc, très vite, fait la différence : ce qui est privé et commercial est bien propre, attirant et agréable. Ce qui est libre et municipal est sale et ennuyeux. Cela a un effet de découragement à l’expression citoyenne. Un cadre de vie indigne qui est une véritable entreprise de dépolitisation.
5/20 -
Il s’agit de l’image d’un établissement culturel : le « Musée des monuments nationaux » qui s’est appelé, en 1999, « Centre national des monuments historiques et des sites » puis en 2000, il devient le « Centre des monuments nationaux » et enfin « le Monum ». L’image de droite est l’affiche d’une campagne publicitaire pour une eau gazeuse. Ces deux images de 3 m x 4 utilisent les mêmes codes et elles sont collées à peu près dans le même espaces-temps. Cela veut dire qu’un musée devient une marque qui n’a plus aucun sens. Il se vend comme un produit, tout comme le corps de la femme. On leur met d’ailleurs une étiquette à chacun. L’histoire et la dignité s’effacent devant l’industrie des médias.
6/20 -
Cette épave, fait visiblement partie de l’annonce du pavillon de chantier d’un futur musée d’art contemporain, un exemple malheureux de l’organisation de la misère des signes et de la perte de sens. La prise en considération de l’espace s’arrête aux grilles des établissements. La symbolisation de l’art n’accompagne pas la violence de la réalité.
7/20 -
Voici un centre de sécurité sociale, conquête sociale majeure du XXeme siècle. Son aspect sinistre trahit la vitalité de sa fonction
et contribue à la misère des situations de ceux qui l’utilisent comme de ceux qui y travaillent. Cela cautionne toutes les attaques dont cet organisme fait l’objet. Où sont les grands projets d’architecture ? Où sont les œuvres d’art ?
8/20 -
La manière dont on se montre traduit déjà la volonté d’engager ou non un dialogue. Voici l’exemple d’une entrée d’un service du Ministère de la culture dans un quartier populaire où apparemment, on ne considère pas ces signes comme importants et susceptibles de provoquer des désirs de rencontres. La qualité de leur maintenance exprime le peu d’intérêt porté aux publics.
9/20 -
C’est la façade d’une mairie annexe avec des lettres manquantes (dégradation que l’on rencontre assez souvent). Il est vraisemblable que les lettres absentes au fronton d’une entreprise privée sont immédiatement remplacées. Quelle idée de « service public » donne à voir ces lieux républicains abandonnés.
10/20 -
Sur une entrée de parking, relativement absurde sur le plan architectural, qui a envahi toute une place, j’ai par dérision collé de petites silhouettes de toilettes. C’est plus ou moins de bon goût, mais c’est resté plusieurs mois sans que les services municipaux ne les décollent. Cette anecdote est révélatrice de l’arbitraire des signes qui fait que l’on n’ose pas trop toucher aux formes codifiées, comme les pictogrammes. Voici un autre exemple, que l’on rencontre dans toutes les villes, où grâce à la culture audacieuse des ingénieurs de l’EDF, le « danger » devient poétique ! Victor Hugo, la doctrine et les carottes qui tuent ? Mais on peut voir et craindre aussi beaucoup d’autres postes de « haute tension » : École, Poète, Hôtel de Ville, écureuil…
11/20 -
Sur de nombreux panneaux publicitaires, il est écrit : « Informations municipales au dos ». C’est comme si le municipal, qui expose des images civiques sur ces panneaux, créditait le message commercial affiché sur l’autre face (même quand le côté réservé pour la ville est vide, comme sur la photo). Par exemple, des militants syndicaux collent sur le poteau à côté de l’espace municipal vide.
12/20 -
Où sont donc les espaces reconnus pour l’expression des conflits sociaux ? D’autant que ce support est d’un niveau de design extrêmement normalisé et qu’au bout d’un moment, c’est lui qui fait sens. Quelque message que l’on puisse mettre dedans, il dit « consommez ». Par ailleurs, on s’aperçoit que le côté « municipal » est toujours le côté le moins visible (un arbre, un poteau…).
13/20 -
Au Moyen-Âge la ville était marquée par des signes, des sculptures qui représentaient des Saints. On se repérait difficilement car tout se ressemblait. Au XVIIIe siècle, la police a commencé à marquer les rues pour contrôler l’espace public. En même temps on a commencé à les éclairer. Selon l’historienne Arlette Farge : « Les gens se sentaient dépouillés de leur obscurité ». Cela a été remplacé par des signes marchands. À présent, c’est la marque qui va donner une géographie, refaire l’histoire. Par ailleurs, la qualité de la maintenance agit sur la qualité de la mémoire historique que l’on veut ou non transmettre. La Commune de Paris peut-elle visiblement concurrencer une marque de bière ?
14/20 -
Un exemple de contre-information. Le « vide de sens » des instances publiques s’affronte au « trop-plein » des signes du commerce. L’absence de paroles singulières dans la ville, face à l’omniprésence du discours des pouvoirs financiers, laisse la place à la «tyrannie des marques ». En croyant marquer sa différence par un système de logotypie, on se fond, finalement, dans « les produits ». L’urbanité est réduite à sa seule expression marchande. Tous ces signes embrouillés se confondent, se ressemblent, mais il y a une inégalité des moyens. Il est évident que Nike sera beaucoup plus vu que Fougères. La responsabilité de la puissance publique qui ne pose pas ses commandes publiques en recherches, mais en « marques » et en produits est écrasante. C’est la « logotomie sociale ».
15/20 -
Les villes se couvrent de logos, signes de concurrences territoriales. Ces signes censés exprimer « haut et fort » l’identité de la ville sont visibles pour la population majoritairement sur le papier en tête du maire et sur les poubelles (qui sont assez souvent sales pour revendiquer une ville propre). Cette uniformisation des espaces publics par des signes arbitraires sur des objets, nous renvoie à la culture concurrentielle des entreprises privées, bien loin de la diversité citoyenne des institutions publiques, dont on est en droit d’espérer une plus grande inventivité pour le partage de son identité.
16/20 -
Parmi les violences faites aux femmes et aux jeunes filles, voici un exemple de publicité sexiste : « On n’attrape pas les mouches avec du vinaigre ». Pourtant le contrôle des messages et des espaces publicitaires peut être effectué par la ville. Celle-ci ne peut pas se contenter d’annoncer les violences subies par les femmes et tolérer sur son espace ce genre de discours. Ces signes de l’oppression : « Babette, elle vous fait quoi ce soir ? », participent également au mythe « du malaise des banlieues » dès lors que ces messages réactionnaires ne sont pas confrontés, dans la rue même, à des signes publics d’une citoyenneté progressiste et heureuse. Sur fond de violence sociale, cela laisse place aux idées du repli intégriste et sécuritaire.
17/20 -
La publicité infligée au citoyen n’est soumise à aucune législation véritable, le commerce peut tout faire. Entre cette femme « tellement nous » qui nous invite à voir les informations municipales qu’elle a dans le dos, et « cet homme à part », qui réfléchit dans sa cité, l’histoire a un air de fatalité. On ne peut pas échapper, on ne peut pas zapper les messages publicitaires urbains. Et si on enlevait la publicité dans nos villes ? Si on la remplaçait par le partage visible des savoirs citoyens ? Où est passé l’idéal d’émancipation par l’éducation ? La plupart des villes sont fascinées par la « communication », plus utile à « la paix sociale », qu’à une pratique d’éducation populaire, qui elle, participerait au développement de l’esprit critique et à la transmission des savoirs sociaux.
18/20 -
C’est au Portugal, un autobus où l’on voit le monde à travers la publicité (ce qui est de plus en plus répandu, y compris en France). Dans ce cas-là, on paie le transport trois fois : on paie les impôts pour l’entreprise publique des transports, on paie le billet et enfin on paie l’agression symbolique infligée par la violence publicitaire. De l’intérieur, l’usager est obligé de voir quotidiennement le monde à travers les signes de la marque commerciale. Un filtre à la réalité sociale. C’est un signe fort de la disparition des services publics par leur marchandisation. C’est la domination de la culture marchande, en l’absence des signes de la culture du travail, de la culture des luttes, de la culture comme expression des solidarités humaines.
19/20 -
Quand on rentre dans une ville, il y a déjà un brouillage de signes. Les signes du commerce précédent les signes publics. On remarque que les informations d’orientation de la ville sont moins visibles que les publicités marchandes. Les villes ont pourtant totalement le pouvoir de qualifier elles-mêmes leur territoire. La frontière entre public et privé s’estompe, disparaît, contribuant à dépolitiser la ville, à transformer tous ses citoyens actifs et critiques en consommateurs désabusés et soumis aux violences des pouvoirs en place. Le capitalisme « sans limite » est la culture dominante. L’espace public ne porte plus les questionnements civiques, les projets de société. Où sont les formes visibles du « bonheur commun » et de l’art de vivre ensemble ?
20/20
Deprecated: wp_make_content_images_responsive est obsolète depuis la version 5.5.0 ! Utilisez wp_filter_content_tags() à la place. in /srv/data/web/vhosts/www.gerardparisclavel.fr/htdocs/wp-includes/functions.php on line 4863